La Guerre des Boutons (3/5)

Dès mon arrivée, on m’a mis dans l’ambiance.Le bureau était plein quand je suis entré. Je n’avais pas commencé à enlever mon blouson que tout le monde en avait disparu.

Qu’importe. Je suis défoncé aux médocs, et je suis là pour bosser, alors je m’y mets.

Je commence à peine à m’installer qu’arrive la némésis d’une ancienne amie (l’ennemie de mon amie ne peut pas être trompée mille fois, ou je sais plus, enfin tu vois l’idée, on s’aime pas, quoi).

Elle ne me dit pas bonjour et m’enchaîne directement : je me fais traiter de sociopathe, de dérangé, de monstre dégueulasse : elle a lu que le jour de mon entrée à Happy Time -il y a donc 6 ans de cela- je l’avais décrite « dans des termes peu flatteurs » (ce ne sont pas ses mots, mais je jette un voile pudique sur ce paragraphe, au cas où des jeunes oreilles nous liraient).

Je me souviens vaguement de ce que j’avais écrit. Un barrage cède, quelque part dans ma tête : ce qu’elle a lu est vrai. Je suis un salaud. Je mérite de mourir dévoré par des truites. C’est ainsi que j’ai débuté mon long chemin sur les jolies routes de l’auto-fellation flagellation (c’est la dernière fois que je laisse Rachida Dati taper mon texte).

Dans un même temps, je me rends vaguement compte qu’elle n’était pas à la réunion, et que le nombre de personnes qui se sont introduites chez moi est donc à revoir à la hausse.

Je n’ai pas eu d’autre confrontation de ce genre. La plupart des membres de l’équipe m’ignoraient, et me faisaient ouvertement la gueule. Je leur passais les informations nécessaires au boulot par téléphone, et ils me raccrochaient au pif. Bref, une atmosphère de travail plutôt détendue du slip.

Deux camps s'étaient créés pendant mon absence : ceux qui avaient tout lu et s’en foutaient, contre ceux qui n’avaient pas lu, se nourrissant de propos rapportés et buvant comme du lait caillé les paroles de Girafa lors de la fameuse réunion. Pour ce camp, je suis l'homme à abattre. Ce que j’ai écrit est trop horrible pour qu’ils osent y jeter un œil, et de toute façon, ils n’ont pas besoin de se faire leur propre opinion : la hiérarchie est là pour leur dire quoi penser.

Je n'ai jamais été témoin d'affrontements directs. On me laissait au maximum dans mon coin, honteux intouchable, où j'essayais de me faire le plus petit possible, en attendant que l'orage se calme.

J’aurais pu, à ce moment de l’histoire, remettre le blog en ligne, pour laisser chacun se faire son idée. Foutu pour foutu…

J’ai fait l’erreur de le laisser inaccessible.

Trop de personnes sont déjà venues, je ne sais pas qui a lu quoi. Tout ce que je sais, c’est que mon intimité a été violée, qu’on en a barbouillé les murs de caca, et que maintenant on me reproche l’odeur.

L’onde de choc était allée beaucoup plus loin que prévu, et bientôt, j’ai vu débarquer tout le service pour me demander : « Au fait, on m’a dit que… C’est vrai ou pas ? ».

Moi qui adore me justifier et parler de moi, en plus dans ces circonstances, j’étais servi. Au moins, ça m'a permis de rétablir un semblant de vérité : non, je n'ai jamais traité les portugaises du service de "sales dessaleuses de morue, avec des bras poilus comme des ours", mais merci de m'avoir posé la question. Oh, de rien David, maintenant au moins, tu sais pourquoi elles t'en veulent.

Je le sais, mais je ne vais pas les voir pour m'expliquer. Je ne sais pas qui leur a raconté ça, mais je suis trop humilié pour aller provoquer une attaque en face à face.

La guerre entre les deux camps faisait rage. On m’a souvent rapporté des incidents du type :

- T’as vu David, quel vilain quand même… - Ah bon ? Mais tu l’as lu toi son blog ? Non ? Alors ta gueule.

Le simple fait de déjeuner avec moi était devenu un acte politique.

Certains de mes alliés, s’amusant de la situation, me racontaient les derniers ragots du camp adverse, passé en mode cour de récré : « ha ha, Machine trouve que je suis bien conne de te parler ». Et puis un jour, on a changé de cour : adieu la récré, bonjour la justice. « Tu te rends compte, Bidule (qui n'a jamais été mentionnée dans ce blog), elle se serait quand même vue porter plainte contre toi ! ».

Je sais qu’on me racontait ça sans penser à mal. Mais les pavés, les bonnes intentions, et à chaque fois qu'on m'en jetait un, je m’effondrais un peu plus.