Un chef, c'est fait pour cheffer (4/5)

Il l’a encore fait ! Il a encore rallongé son histoire ! Le salauuuud ! M’allez, promis, c’est la dernière fois.Vous êtes tellement mignons quand vous êtes crédules.

Et ma responsable, dans tout ça ? Celle par qui le scandale est arrivé, que faisait-elle, dans les scènes où on ne la voyait pas ?

Quand j'ai repris le boulot, une semaine complète s’est écoulée sans que je ne lui parle. Elle avait reçu chacun de mes messages sans jamais répondre : j’estimais que ce n’était plus à moi d’aller vers elle -et fort courageusement, ça me permettait de garder la tête un peu plus longtemps dans le sable.

Et puis un jour, je reçois un SMS pendant que j’étais à la cantine : « Après manger il faut que tu ailles voir Girafa… Bon courage, bisous ».

Quand je suis arrivé devant son bureau, j’avais assez transpiré pour faire vivre une famille d’orques dans mon t-shirt. Je n’avais pas eu le temps de repasser par le vestiaire pour prendre un comprimé de courage, alors j’avais très très hâte de vivre pleinement ce grand moment.

Elle a un peu fait durer le plaisir. On a d'abord parlé boulot, elle m’a remis les documents relatifs à mon entretien annuel, qu’on fera la semaine prochaine, d’accord, ça te laisse le temps de le préparer.

Je n’y croyais pas. On n’allait pas parler du tout du troupeau d’éléphants dans la pièce ? Non mais, allô quoi. Et finalement, si. Une fois débarrassés des banalités d’usage, on a attaqué le vif du sujet, toujours avec ce sourire bienveillant tellement adapté à la situation :

- Alors, ce retour, pas trop difficile ?

La boule que j’avais dans le ventre m’est montée à la gorge. Mon retour. Les insultes. La gueule. L’humiliation. La honte. Les mains qui grattent partout, pour essayer de voir à quel point David est un connard.

- Si.

Je n’ai plus rien à perdre, du coup je peux être honnête, ça fait belle lurette qu’on s’est mouché dans mon honneur. De toute façon, elle n’a pas vraiment écouté : c’était plus une entrée en matière qu’une vraie inquiétude quant à mon bien-être, 'spèce de mauvaise maîtresse de maison, va.

Elle m'a d'abord confirmé que le système de mails de l'entreprise fonctionnait bien, mais qu'elle n'avait "pas pris la peine de me répondre". Je suis content qu'on ait clarifié ce point, tu vois, je me demandais si c'était pas la Poste qui avait mal distribué mon courrier parce que j'avais mis une virgule après le numéro de la rue.

Elle m’a ensuite expliqué à quel point j’étais méssant, j’avais causé du tort à plein de monde, c'est même pas question d'être désolé de l'avoir blessée elle, non mais vraiment comment tu as pu ne pas te rendre compte que tu allais tellement trop loin que la seule façon que j’avais de te stopper, c’était de te tirer une balle dans le dos ?

Et à la fin de l'entrevue, toujours, toujours le petit sourire de rigueur.

Je suis désolé, je ne comprends absolument pas ce que vient faire Cersei dans ce post.

Je pensais que cette tape sur les doigts était ma seule punition, mais je ne connaissais pas encore l’ampleur du lynchage que me préparaient mes collègues. A priori, ma boss non plus ne s'y attendait pas : elle avait dit à ma work'wife qu'elle était "surprise, je ne pensais pas lancer un tel buzz lol".

Mon entretien annuel a été un grand moment lui aussi : dans le bureau le plus mal isolé du monde, adjacent à un des couloirs les plus passants du magasin. On a d'abord salué mes qualités de travail. Et puis on m’a fait LE reproche ultime : « le problème, et je te l’ai déjà dit, c’est qu’on ne sait jamais ce que tu penses quand on te parle ». O…kay, bienvenue dans le monde du travail, non ?

Elle m’a présenté comme une faveur de ne pas mentionner le blog dans son écrit, tout en me reprochant des faits remontant à deux, voire trois ans, dont elle n’avait été témoin qu’en les lisant ici-même. L'entretien de travail qui se transforme petit à petit en procès de moralité. Mais je m'y attendais, tout ce qu'elle dit est vrai, fouette-moi avec des orties, je vais réciter 20 Notre-Père, et qu'on en finisse.

Et puis, après la signature, on a fait comme s’il ne s’était jamais rien passé. Gargamel et les p’tits schtroumpfs, on oublie tout de l’épisode précédent.

Mais les collègues, grâce à leur régime plus riche en poisson, avaient meilleure mémoire, et ils continuaient à me jeter des cailloux choux genoux.

Chaque jour, je savais que la meilleure façon d’arranger ma situation était d’aller prendre ma boss entre quat’z’yeux, et de lui dire, façon John Wayne :

- Écoute, c’est toi qui a lancé cette fatwa, en mélangeant le personnel et le professionnel. Maintenant, assume tes fonctions de manager, et gère tes équipes, que je n’aie plus à subir ça.

Mais la culpabilité, la honte, et ce sentiment que je l'avais bien mérité, tu penses bien que je n'en ai rien fait.