Elle est à toi cette chanson (2/5)

Ouais t'as vu à la base le post il devait être en 3 parties, et finalement je le découpe en 4, on dirait Christine Boutin qui numérote ses tweets, non mais comment je suis trop un déglingos dans ma tête, trop fou le mec ! Ma femme avait été la première à réussir la difficile épreuve du googueulage du blog, suite à la réunion, et avait été horrifiée en réalisant que l’infâme dépeceur de chatons dont on avait parlé... c’était moi ! Ciel, mon mari ! On était proches : une de mes meilleures (et rares) amies, et pourtant je ne lui avais rien dit – ceci dit, à ma décharge : sanctum sanctorum, tout ça tout ça, au risque de me répéter, pardon, merci.

Pour mieux lui enfoncer le clou de ma trahison, elle avait découvert, suite à une mise en scène digne des plus grandes tragédies grecques, qu’elle était non seulement citée dans un blog décrit comme Mein Kampf 2.0, mais qu'en plus elle y était affublée d’un surnom ridicule.

Une fois calmée, elle a finalement osé lire l’objet du délit, pour se rendre compte que le tableau avait peut-être été légèrement noirci pendant l’acte I. Lorsqu’elle a demandé à ce qu’on se voie, pour discuter de tout ça et nettoyer nos auras respectives, j’avais l’impression de quitter le goulag pour aller à l’abattoir.

Tu penses « walk of shame », tu te rases la moitié de la tête (mais de travers), tu te vomis un peu dans la bouche en te le laissant couler le long de menton, et tu auras un début d’idée de l’état dans lequel j’y suis allé.

Et puis en fait non. Ma femme, c'est quand même la meilleure, elle a réussi à être plus grande que ça -en même temps, je n'aurais pas voulu d'une épouse de boulot qui soit bête comme mes pieds, eh ! On a bu un verre, on a parlé, on a ri, on a pleuré, Ziggy il s’appelle Ziggy, et l’incident était clos.

Mon monde ayant implosé pendant mes vacances, j’avais donc embrayé direct sur deux semaines d’arrêt de travail. J’avais envoyé des mails d'excuses à ma boss -naturellement restés sans réponse- et je n’osais parler à personne dans mon cercle boulot : si j’entamais la conversation, si je donnais signe de vie, sur facebook, via SMS ou par signaux de fumée, je savais qu’on allait directement me trancher la gorge.

Avril, qui sait tellement bien capturer le prisme de mes émotions en ces instants difficiles, qu'on lui pardonnera d'être aussi gender-contraignante. Tu sais, les hommes aussi ça pleure.

Si tu calcules bien, au moment où je retrouve ma femme, ça fait une dizaine de jours qu’on m’a sauvagement outé, et je n’ai aucune nouvelles de comment se passent les choses à Happy Time.

Ma femme a le mojo : avec l’aide de Lapin, elle se transforme en Daviwhisperer, réussit à me calmer, et à force de petites pilules jaunes et de position fœtale, je relativise : les choses ont dû retomber, ça fait deux semaines, seuls les collègues présents à la réunion sont au courant du scandale, ce qui veut dire qu’il n’y a qu’une petite douzaine de personnes qui m’ont vu à poil, je suis presque puceau. Je ne sais pas pourquoi, mais cette idée est censée être rassurante.

De toute façon, je n’ai rien d’autre. Tout ce que je peux faire c’est anticiper, ruminer, faire tourner le cyclone en rond dans ma tête, fumer cachet sur cachet et avaler une clope avec un grand verre d’eau toutes les deux heures.

Alors, je me suis dit que j’étais fort. Je me suis dit que j’en étais capable. Je me suis dit que j’étais Batman, que j’étais Buffy, what would Jesus do (à part mourir sur la croix, ce qui reste à mon avis une amélioration très discutable) ? Je me suis dit que ça ne pouvait pas être pire que ce que j'imaginais.

J'ai pris mon courage à deux mains, envoyé un mail à l'équipe et à ma boss pour leur dire, grossièrement résumé :

"On vous a parlé de mon blog. On vous l'a présenté comme un écrit sur le travail, c'est faux. C'était sur internet, soit, mais il s'agissait néanmoins de quelque chose de personnel. Le blog et l'incident sont clos. Je reviens la semaine prochaine si vous voulez en discuter de vive voix".

Et puis, la semaine prochaine est arrivée, et je suis retourné travailler.