Parlons-en

C'était un jour comme un autre à Happy Time. J'étais dans le bureau, à côté de Felindra, notre standardiste. Je partageais les derniers ragots par téléphone avec Grololos, en attendant qu'on m'envoie en intervention.

Parce que oui, maintenant, j'ai évolué. Je dis aux caissiers à quelle heure ils déjeunent, à quelle heure ils ont le droit d'aller en pause, et je susurre aux clientes stressées la phrase qui les fait fondre :

- Tenez madame, c'est une facturette de crédit.

Je vis un rêve, ce nouveau poste est pleinement épanouissant.

Bref, un jour comme les autres, à attendre que le téléphone sonne pour m'envoyer sur l'une ou l'autre de ces trépidantes missions.

Peut-être que c'était une journée très calme. Peut-être que Grololos et moi-même squattions la ligne.

Toujours est-il que rien ne se passait.

Alors, quand Mamina est arrivée pour rendre sa caisse, fin de journée oblige, j'ai décidé de lui faire la conversation. Ca m'a paru bizarre, cette envie de discuter, c'est pourtant pas mon truc. Je me suis dis que ça venait peut-être de mes nouveaux antidépresseurs, ou juste que j'aime bien Mamina.

C'est une de nos vieilles caissières, qui sera à la retraite dans trois mois, et qui ne fait pas son âge. Ceci dit, j'ai cette tendance à trouver que tout le monde fait 10 ans de moins que leur âge réel, donc je me demande si ça viendrait pas de mes yeux.

Avant, elle me laissait plutôt indifférent, Mamina, mais un jour, j'ai appris qu'elle avait pas eu une vie facile, qu'elle avait eu sa boîte, puis qu'elle l'avait perdue (t'as pensé à regarder sous le canapé ?), échouant ainsi à Happy Time, et gna gna gna... Comme que je l'ai jamais entendue se plaindre ou se la jouer vieille aigrie, je me suis mis à bien l'aimer, et à discuter avec elle.

Comme ce soir, où j'ai entamé la conversation en la flattant, à faire remarquer à Felindra à quel point elle ne faisait pas son âge (Mamina hein, pas Felindra, on ne flatte pas une femme en en complimentant une autre).

- Ah ? Merci, tu sais, j'ai eu des coups durs dans la vie, ça m'a gardée en forme, hihihi.

Je ne savais pas si j'étais censé être au courant, alors j'ai souri et fermé ma gueule, avec un regard compatissant. C'est à ce moment que les choses se sont cassé la gueule :

- Oui... J'ai perdu mon fils de 23 ans...

Euh... Hein ?

Sourire qui se crispe. Je dis quoi ? "Oooh... Aaah..." ? Je lui tapote l'épaule avec un réconfortant "there, there" ?

Comment ça a pu dégénérer aussi vite, putain ? Pourquoi, mais POURQUOI j'ai entamé la conversation ?!

- C'est terrible pour un parent... Il aurait 37 ou 38 ans cette année...

Ok, donc ça ne s'arrête pas. On vit un instant Delarue en direct dans le bureau, est-ce que je suis le seul à ne pas être totalement à l'aise ? Felindra ? Le téléphone ? Quelqu'un ?

Felindra a trouvé quelques banalités affligeantes à sortir, sur lesquels j'ai essayé tant bien que mal de rebondir : "oh bah oui, ça doit être horrible hein, allez". J'avais encore la caisse à la main, j'étais incapable de bouger.

Je voyais les larmes lui monter aux yeux, une boule qui faisait des allers-retours dans sa gorge. Tout ce malheur apparent, c'était comme regarder une jambe coupée : les muscles et les tendons et les os à nu, et le sang qui coule. C'est horrible, on ne comprend pas pourquoi on ne détourne pas les yeux.

Avant de nous fondre en larmes sur les genoux, Mamina est partie, drapée dans sa dignité, et ce jour-là, j'ai juré que jamais plus jamais je ne lancerai la conversation. Avec qui que ce soit.

Dans ma fente

Ca va certainement en étonner plus d'un, mais les relations sociales, faire la conversation, tout ça tout ça, c'est pas trop mon truc (oui je sais hein, qui l'eût cru ?). Par exemple, j'ai quitté mon supermarché pour un autre, qui venait d'installer des caisses automatiques. Sauf que la plupart du temps, la caisse déconne, et je suis quand même obligé d'appeler quènqu'un au secours. J'ai parfois du mal à considérer mon plan comme un parfait succès...

Un jour, j'ai aussi découvert l'inconvénient d'amazon. Alors que j'allais récupérer mon huit miyardième colis chez les gardiens, j'ai eu droit à un "dites-donc, qu'est-ce que vous recevez comme paquets !". Sur le coup, j'ai souri sans rien dire.

Mais en rentrant chez moi, à peine la porte fermée, je me suis effondré en hurlant : aaaah, mais ils m'ont parlé ! De longues années de travail sur moi-même m'ont enfin aidé à accepter le fait que ça n'était pas une agression. Elle ne me jugeait pas, mais me faisait poliment la conversation. Ce fut difficile, et parfois encore, je me réveille en sursaut la nuit (ou le jour, quand je suis au boulot), avec sa voix qui résonne à mes oreilles : "dites-donc, qu'est-ce que vous recevez comme paquets (aquets) (aquets)".

Avant d'arriver à cette conclusion, j'ai dû apprendre à survivre dans ce monde de brutes, et j'ai développé cette ruse de sioux, que je vous livre aujourd'hui, ouais, j'ai pas peur de dévoiler mes secrets.

À chaque fois que j'ai un truc à récupérer chez les gardiens, je leur donne le papier "le facteur m'a remis votre colis :D" avec un regard étonné, pour me la jouer "hein, ah bon, j'ai un colis, non mais je sais pas hein, j'ai rien commandé, non mais j'suis trop bête quoi, kikoolol". À ce jour, zéro questions.

Et parfois, la réalité rejoint la fiction. Mardi dernier, j'avais le papier dans la boîte aux lettres, "le facteur m'a remis votre colis :D". Et pourtant là, je n'avais vraiment rien commandé. Rapide check sur toutes mes boîtes mail, même celle à spam, même celle réservée aux sites de boules : non, aucun achat compulsif, rien.

J'avais totalement oublié que je m'étais abonné à ce magazine pour une bouchée de pain avec le CE d'Happy Time, honteusement, en payant le timbre pour ne pas avoir à leur remettre le formulaire en mains propres.

Alors je suis allé chercher mon courrier, le visage parfaitement innocent et serein, hein, quoi, non je sais pas ce que je viens récupérer, bonjour monsieur gardien ?

- Tenez, ça rentrait pas dans vot' boîte à cause de ça.

M'a dit mon gardien qui ne me juge pas et me fait simplement la conversation, en me montrant le gadget de mon Picsou Magazine.

La honte, donc.

Voyage vers les Enfers (3/3) – Charybde et Scylla

La Crète, c'était quand même bien. L'avantage de ne bosser qu'avec des pondeuses, c'est que je suis obligé de partir hors période scolaire : du coup on avait l'hôtel rien que pour nous. On se partageait la piscine avec deux beaux et jeunes Anglais, qui nous ont bien intrigués toute la semaine durant (surtout moi, je dois dire). Le premier était officiellement une copine : il marchait cambré comme un arc, le cul bien en arrière, et tirait la tronche avec ce regard hautain du parfait pédé parisien. Mais l'autre, par contre...

Il faisait hétéro rugbyman, et se grattait les couilles en descendant des bières, pendant que son copinou carburait au Coca Zéro (tout le non-intérêt du Coca, en se donnant bonne conscience, you go girl !). Ils partageaient la même chambre, la même table, le même sac, la même crème solaire, mais à vue de nez ça s'arrêtait là : aucune complicité, pas de regards tendres mon amûr, peu de conversations...

Est-ce qu'ils étaient frères ? Est-ce qu'ils étaient secrètement amants (oh oui oh oui oh oui !) ? Est-ce qu'ils étaient là pour le boulot, à tourner leurs scènes d'englishlads le matin, et faire bronzette l'après-midi ?

À ce jour le mystère reste entier.

Pour les oublier, on allait parfois se balader en ville. C'est comme ça qu'au détour d'une ruelle, on est tombés sur deux instituts de fish pedicure se faisant face : Fish Spa, et Spa Fish. Pour ceux (comme moi) qui ignorent ce que c'est, tu mets les pieds dans un bassin, où des poissons viennent te bouloter les peaux mortes, et ils en ressortent aussi doux que des fesses de bébé. Quand on est poissontophobe comme moi, c'est l'horreur.

Lapin, lui, a trouvé le principe génial, et m'a forcé à essayer avec lui, le bâtard. Tous les gens à qui j'en ai parlé m'ont dit qu'ils étaient mortellement jaloux. Bande d'inconscients, mais vous vous rendez pas compte ?!

On a choisi Fish Spa (pour la raison évidente ci-après), sous le regard haineux de la concurrence. L'option dix euros pour dix minutes de pure terreur abjecte.

"Come in, come in", nous a dit la bourreaute, une blondasse à l'air doucereux, qui doit bouffer des bébés chats au petit-déjeuner, sinon je vois pas comment on peut tenir un business aussi infâme.

- Don't be afraid, the fish are not piranhas !

Oooh toi, déjà, si tu te sens obligée de le préciser, si tu sais ce dont j'ai peur, c'est louche, tu es louche, ton commerce est louche.

J'ai quand même obtempéré, quand elle nous a demandé de nous rincer les pieds. Mais je l'avais à l’œil, la fourbesse.

Une fois les petons propres, le cauchemar pouvait commencer.

On immerge un pied... Sur lequel les barracudas se jettent sans retenue... Puis l'autre... Et pour les poissons, c'est la curée. Des dizaines et des dizaines de petites bouches, partout sur les pieds, sur les mollets, qui tentent de se faufiler entre nos délicats orteils.

Elle nous regardait en rigolant, à nous narguer avec ses "Yes, it's funny ? It “ça chatouille“, see ?". Yes connasse, ça chatouille. Mais si j'avais voulu me faire chatouiller les pieds, j'aurais pu les foutre dans une bouteille de Perrier (c'est fouuuu).

À rester avec nous en souriant, j'avais l'impression qu'elle attendait que j'abjure ma foi en Belzébuth. Moi, je voulais juste me trancher les jambes et leur laisser en pâture, pour ramper loin de cet enfer. Je n'en ai rien fait.

J'avais pourtant calculé, on devait rester jusqu'à cinq heures vingt-cinq (question : à quelle heure a-t-elle commencé à nous torturer ?). À la demie, elle nous a gracieusement offert cinq minutes de plus.

D'autres français sont alors arrivés, pour tenter l'expérience. J'ai voulu de les prévenir, non, venez pas, c'est horrib'!, mais mon côté sadique s'était réveillé. Si David doit tomber, il en emmènera le plus possible dans sa chute.

Les cons n'avaient pas compris qu'il fallait se rincer les pieds avant de servir à dîner aux hyènes à nageoires. Alors, cinq minutes s'étaient écoulées que Felindra pêchait un cadavre, puis un second, dans leur aquarium (faciles à repérer, c'était ceux qui se faisaient déjà dévorer par leurs pairs -rassurant...). Du coup, ils ont été chassés de là avant nous.

Comme on n'avait tué personne, elle nous a souri, avant de nous annoncer qu'on pouvait rester encore un peu, allez, jusqu'à six heures.

L'horreur sans fin.

Pour les plus courageux, j'ai réussi, au péril de ma vie, à filmer la scène, pour que vous voyiez un peu l'horreur qu'est une fish pedicure (allez, bande de fétichistes, je vous autorise à vous branler sur mes pieds).

Voyage vers les Enfers (2/3) - C'est frais

Quand je suis revenu de Bruxelles, au boulot les gens se sont moqués de moi. Je leur avais déjà fait le coup une première fois : on était allés à Bruges l'année d'avant -un week-end offert par belle-maman, qui laisse donc à la critique une toute petite marge de manœuvre.Mais peu importe, une petite marge suffit pour dire que certes, la ville est mignonne, mais quand on en est réduit pour s'occuper à visiter le musée du chocolat, dans lequel les vitrines sont des mises en scènes de Playmobils... Ben voilà, je crois que tout est dit, en fait.

Les conquistadors débarquent en Amérique du Sud, où ils découvrent le cacao.

On avait quitté la ville comme deux princes, drapés dans notre dignité, en refusant d'aller au musée de la frite. Oui oui, ça existe.

Alors je leur ai fait jurer, à Happy Time, que si jamais je parlais à nouveau de partir en Belgique, ils n'hésitent pas une seconde et me tirent une balle dans la tête.

Avec Lapin on a donc fait de grands projets. Il fallait faire mieux que Marrakech !

On y a beaucoup réfléchi, et on s'est arrêtés sur Istanbul. J'en ai parlé avec mon conseiller en vacances au boulot, un p'tit racaillou rigolo, vas-y !, qui m'a répondu, avec son langage de d'jeuns des cités :

- Ah ouais, la Turquie ? C'est frais ça !

Et là, un blanc. C'est frais ? Ben... non, en septembre c'est plutôt ensoleillé ?

Ce coup de vieux, quand tu te rends compte que tu comprends pas les expressions du moment... Mais putain, ça veut dire quoi ? C'est du positif ? Du négatif ? Je peux même pas me fier à son ton, il a dit ça d'un air tellement neutre que ça pourrait vouloir dire n'importe quoi. J'ai répondu aussi vaguement que j'ai pu, jusqu'à ce qu'il précise :

- Y a de belles plages là-bas, il paraît !

Ok. Donc je vote, je dis que c'est du positif. J'acquiesce en riant bêtement et je me casse, avant qu'il ait le temps de voir le fossé linguistique entre nous.

J'ai quand même réfléchi à ce que j'avais compris de notre conversation. Des plages... À Istanbul ? Il n'y en a pas. Des piscines non plus, cons de Turcs, tiens. Mais maintenant qu'il en avait parlé, faire bronzette au bord de l'eau, c'est tout ce que je voulais (et Lapin aussi, forcément).

Alors, on a pensé à aller se faire voir chez les Grecs. Pas Athènes, parce que tous ces pauvres au kilomètre carré, c'était juste pas possible, tu vois quoi. Pas Mykonnasse non plus, parce qu'un collègue m'a fait cette pauvre blague trop de fois pour que j'ose un jour y mettre les pieds.

Après avoir éliminé les Cyclades (eh, on va pas en vacances pour faire du vélo, ho ho ho), on est tombés sur la Crète. Des visites mais pas trop, on peut faire des trucs à pieds si on loge à Héraklion, et des hôtels avec piscine en veux-tu en voilà. Et en plus, la Crète c'est à la fois le nom de l'île, et le nom de la coupe du coq, alors c'est trop drôle quoi.

Héraklion, donc. Sur le papier, ça laissait rêveur. Sur place en revanche, j'ai vécu mon pire cauchemar.

Voyage vers les Enfers (1/3) - Je dirais même plus : (1/3)

La dernière fois qu'on est partis en vacances, avec Lapin, on a pris exemple sur la télé : j'ai fait tourner une mappemonde, et il a mis son doigt dessus au hasard pour l'arrêter. C'est comme ça qu'on s'est retrouvés en plein mois de mars à... Bruxelles. Destination de rêve par excellence, Bruxelles ravira petits et grands. Personnellement, ce que j'ai préféré faire là-bas, ça a été repartir. Le bar de l'hôtel était pas mal non plus, mais il n'y a pas assez d'alcool dans le monde pour éteindre la douleur que provoque la ville.

On a passé cinq jours sur place. Cinq longues journées à regarder par la fenêtre en se demandant si vraiment on ne pourrait pas abréger nos souffrances, et aller directement se trancher la gorge dans les chiottes d'un parking, ça serait moins glauque.

Rien qu'à descendre du Thalys, tu sens que tu vas passer un sale moment : tu te croirais à Gare du Nord, mais en pire. On devait prendre le métro pour aller à notre hôtel (on s'est rendu compte le lendemain qu'on aurait très bien pu y aller en marchant, ils appellent ça une ville, mais on trouve des lieux-dits plus étendus), et ça avait un arrière-goût de RER D aux mauvaises heures, sauf qu'au lieu d'un wagon plein de wesh wesh, on se serait crus à un casting de Confessions Intimes. Dans toute la ville.

Bien sûr, on a fait les trucs à touristes, soit l'Atomium : oooh, un gros shiny; le musée de la bande-dessinée : des planches placardées dans des vitrines à l'infini; la cathédrale Sainte-Gudule (deux qui te tiennent, un qui t'encule); et la Grand-Place, qui pas de bol était en rénovation.

L'instant fort de la semaine : j'imite Lucky Luke, au musée de la BD.

Bref, ce furent des vacances ratées.

Ne pas dépasser les doses prescrites

Mes parents on divorcé quand j'avais cinq ou six ans (eh, rien qu'à la première phrase, on sent qu'on va encore se poiler avec ce post !). À l'époque, ils travaillaient ensemble: normal, ils s'étaient rencontrés en fac de pharmacie, et quand mon père a récupéré l'officine de sa mère, il a embauché la mienne (de mère hein, pas d'officine). Et puis un jour, mon père a fait l'impair de se barrer avec le témoin de ma mère, ce qui l'a rendue amère, aux dires des témoins. Wooohooo, on m'arrête plus ! Au terme du divorce, il a été décidé qu'il serait plus avantageux pour tout le monde qu'elle reste employée dans la pharmacie, à un salaire mirobolant. Apparemment, ça amputerait moins la grrrande, l'immense fortune des Procellus que de lui verser une prime, ou une pension, ou je sais pas comment les hétéros appellent leurs amendes de séparation.

Bref, tout ça pour dire : mon père est riche, propriétaire d'une des 10 plus grosses pharmacies de France, et quand on a trop chaud dans ma famille, on fabrique des éventails avec des billets de 500, qu'on jette au feu quand on n'en a plus besoin.

Curieusement, leur collaboration n'a pas toujours été facile (non mais quelle surprise, hein?), mais avec le temps, avec le temps va tout s'en va, et ils ont fini par réussir à bosser ensemble l'un pour l'autre.

L'avantage de cette situation : une source de conversation intarissable. Au sein d'un groupe, dès qu'on aborde le sujet des parents et/ou du divorce, je peux m'approprier sans vergogne le bâton de parole, taper sur tout le monde avec, et arriver dans le top 5 des situations familiales les plus torturées.

Mais toutes les bonnes choses ont une fin, et l'heure de la retraite a enfin sonné -pour eux, pas pour moi. La pharmacie a été vendue -à prix d'or-, ma mère a été licenciée -en échange d'un pont d'or-, et moi je fais gentiment pousser mes plans de ciguë, pour activer un peu l'héritage.

Cette histoire de vente, ça a été l'occasion pour mon père de récupérer plein de gadgets rigolos, comme des vieux pots à onguents, une balance Roberval, ou un flacon de mercure (j'adôôôre le mercure, on peut jouer à Terminator 2, avec du mercure).

Alors, quand ma mère est arrivée l'autre soir chez moi, en m'annonçant d'un air enjoué : "tiens, ton père a récupéré ça pour toi!", je suis parti très vite et très loin dans ma tête. Ça ? Pour moi ? Un cadeau de mon riche père, de son opulente pharmacie ? Du mercure ? Un médicament à base de morphine ? Une antiquité pharmaceutique que je vais faire semblant d'adorer tout en réfléchissant à combien je peux la lettre en vente ? Des bandelettes de plâtre pour faire un masque ? Quoi ?! Parle, bordel !!!

En fait non. "Ça", c'était effectivement ça.

Deux boîtes d'aspirine (enfin, d'un générique de l'aspirine) à 1,70€ l'unité.

Mais, cher père, pourquoi un tel présent ? La réponse est simple : ils sont périmés depuis 6 mois, donc invendables, mais ma mère m'a assuré, toute contente comme si elle m'offrait un rein de secours, qu'il y avait encore une tolérance de 6 mois pour les utiliser. C'est génial non ?

Non.

Rio ne répond plus

J'ai rencontré Cyril pendant l'été 2001. À l'époque, j'avais pas encore 20 ans et je venais de vivre mon premier chagrin d'amûr, midinette underpower ! J'habitais encore chez Maman Procellus, mais pour l'été, comme je bossais sur la capitale, j'avais emprunté l'appartement parisien de mes grands-parents.Barrez-vous cons de vieux, David est dans la place (tout baigne)!

Jeune âme sensible, j'avais plutôt mal vécu la rupture, alors pour noyer mon chagrin, je cherchais du cul sur les réseaux téléphoniques (bouuuh, me conspue la foule en délire). C'est comme ça que je suis tombé sur lui, mais sans me faire mal. On a rapidement échangé nos numéros, parce qu'on a beau dire, les réseaux téléphoniques c'était quand même relativement peu pratique.

Il avait 20 ans, il était plutôt sympa, et je me suis retrouvé à lui raconter mes malheurs, en trouvant toujours de nouvelles raisons de geindre, pour ne pas laisser mourir la conversation. Vers 4 ou 5 heures du matin, on a raccroché, parce que le lever du soleil, c'est généralement une bonne heure pour aller se coucher.

On s'est parlé toute la semaine, jusqu'au jour où il m'a demandé mon adresse mail. Je me suis empressé de lui donner, et le soir, après le boulot, j'ai fait la queue file (il y a des expressions qu'on nous apprend à ne pas employer, à Happy Time) à la borne internet de Place d'Italie. Et là, patatras. Il m'avouait dans un mail bien tourné qu'il avait en fait 27 ans, et qu'il n'était plus à la fac -ce qui en soi était plutôt une bonne nouvelle-, mais consultant pour une grande boîte de consulting (coïncidence...?). "Pt1 lmek ilé tro vieu mdrrrr", que je me suis dit, du haut de mes 19 ans !

Dans mon infinie miséricorde, et parce qu'il était le meilleur mon seul ami du moment, je lui ai dit un truc du style "ah bah quand même, bon et sinon, ça te dirait qu'on se voie ?". Ce que nous fîmes assez vite.

Il m'a fait découvrir la grande vie : des macarons chez Ladurée aux restaurants branchouilles du Marais, qui ont conduit à d'agréables roulages de pelles contre des portes cochères, et plus si affinités. Je l'écoutais me raconter sa vie : il revenait de faire son service militaire au Japon, et ça faisait plein de belles histoires, qui m'aidaient à oublier ma dépression latente.

On s'est vus sporadiquement tout l'été, et plus du tout quand je suis retourné vivre chez ma mère.

Pendant un an, on a continué à discuter en amis: je l'appelais dès que ça n'allait pas (donc dès que j'avais un instant de libre), et en parfait gentleman, il ne m'a jamais dit que je le gonflais avec mes conneries. C'est à cette époque qu'il a essayé de m'inculquer sa philosophie du "j'ai pour principe de toujours aller bien", que je n'ai jamais adoptée. Moi, mon principe, c'est que ça ne va jamais, même quand ça va bien, en cherchant bien, on trouve toujours à se plaindre. Je me suis reposé sur lui pendant toute ma première année de fac, adolescent tout paumé sur adulte inébranlable.

Quand je suis parti de chez Maman Procellus, on a recommencé à se voir. Je l'ai invité dans ma chambre de bonne, et comme lui aussi venait d'emménager, il m'a fait visiter son 2 pièces royal, dans un immeuble avec du velours sur les escaliers, même que ça faisait "shrouf shrouf" quand on marchait dessus. Je me souviens encore de ma première soirée chez lui : il voulait tellement bien faire qu'il a passé vingt minutes au téléphone avec sa sœur, pour savoir comment me faire des tagliatelles au saumon. Il n'avait jamais vu E.T., je lui avais offert le DVD collector qui venait de sortir. Ma générosité était sans limites.

Il m'avait prévenu qu'on ne resterait pas toujours ensemble, parce que la seule chose qui nous unissait, c'était mes problèmes. Je ne m'en suis pas rendu compte tout de suite, mais plus il m'aidait à aller mieux, et moins on se voyait. Un peu comme la béquille sur un vélo : le soutien tranquille dont on ne pourra jamais se passer, mais qui finit dans une caisse dans le garage.

Jusqu'au jour où ça faisait 4 ou 5 ans que je n'avais pas eu de nouvelles de lui.

Je l'ai retrouvé par hasard sur un site de rencontres coquines. On a repapoté, et là, re-patatras : il m'a avoué, cette fois-ci, qu'à l'époque il n'était pas du tout consultant, mais qu'il faisait de l'espionnage industriel pour la France monsieur, avec un F majuscule. Maintenant qu'il était libéré de ses obligations, il travaillait à la mairie de Vincennes, donc à deux pas de chez moi. Il m'a aussi dit qu'il ne s'appelait pas Cyril, et il m'a donné son vrai prénom.

Curieusement, c'est le prénom que j'ai eu le plus de mal à digérer. J'avais été (un peu) amoureux d'un mec pendant des années, et je découvrais horrifié que je ne savais même pas comment il s'appelait.

Faute avouée à moitié pardonnée, mais deux fois de suite, on ne pardonne plus du tout. Et son histoire d'agent secret puait le mytho à plein nez, même si une partie de moi avait bien envie de croire que je m'étais tapé James Bond. J'ai quand même accepté son invitation à dîner, mais ça a été la dernière fois, oh, je ne suis pas celui que vous croyez !

Je l'ai croisé par hasard, un soir en sortant du RER. La grande classe dans un costume bien coupé, j'ai oublié que j'étais fâché à mort, et on s'est promis de se revoir plus longuement. Ce que naturellement on n'a pas fait.

On est un peu comme Oz et Willow : il ne fait plus partie de ma vie, mais il est toujours là; je ne suis jamais surpris de le rencontrer, au détour d'une rue ou d'une rame de métro. Et à chaque fois que je reçois le Vincennes Info, je le feuillette, en espérant y voir une photo de lui, ou avoir des ses nouvelles indirectement, pour pouvoir lui envoyer un message à base de "kikoolol jté vu ds ljournal mdrrr".

J'en ai eu avec le dernier numéro, en arrivant en dernière page.

La rédaction a eu la tristesse de me faire part de sa disparition le mois dernier, à l'âge de 38 ans.

La vérité si je mens

Quand j'ai commencé ma carrière à Happy Time, on nous avait prévenus : au début ils nous donnent une carte de pointage provisoire toute moche, quand on veut pointer avec ça nous envoie bouler en nous disant "badge non valide", et il faut attendre un mois pour avoir une vraie carte, qui donne les pleins pouvoirs.Les pleins pouvoirs, ça veut dire "15 à 25% de réductions sur presque tout le magasin", ce qui fait qu'en tant qu'employés, on paye à peine plus cher que si on achetait le même article ailleurs, sauf qu'en plus tout le monde a le droit de mettre son nez dans ton sac, du caissier au vigile. Vous n'imaginez pas le nombre d'employées qui m'ont payé leurs serviettes hygiéniques en comptant sur ma discrétion... Mais à ma décharge, le commérage est la seule arme efficace contre un boulot tût pûrri. D'abord, euh !

L'autre jour, alors que je discutais grossesse et dilatations utérines (yukkkk) avec ma collègue, un mec qui ressemblait grossièrement à ça :

s'est approché, sa carte provisoire à la main. J'ai dû bredouiller un truc intelligent du genre "krpfsdticsufdj", et du coup il m'a expliqué qu'il voulait payer. J'ai essuyé toute la bave que je venais de faire couler sur mon téléphone pour appeler les ressources humaines, et savoir si malgré sa fausse carte, j'avais le droit de lui faire ses réductions. Ils m'ont donné le feu vert, ce qui m'a un peu attristé : je me voyais déjà lui dire non, et par un enchaînement dont je ne me souviens plus trop mais qui m'a semblé tout à fait logique sur le coup, on se serait retrouvés à forniquer comme des sauvages sur ma caisse, en se criant des trucs en allemand.

Mais bref, rien n'est arrivé, il a payé et est reparti vers le midi (le midi).

Quelques jours plus tard, quelle ne fut pas ma surprise dis-donc, alors que je me baladais dans le magasin avec Lapin, pendant ma pause déjeuner, de retomber sur mon bellâtre, à la caisse d'une de mes collègues toute zélée !

En un coup d'œil, j'avais analysé et compris la situation. Il veut payer avec carte provisoire. Elle est en train d'essayer de joindre les RH (dans notre jargon, ça veut dire "Ressources Humaines" : le R de Ressources, et le H de Humaines -> RH. Trooop fort !), or on est samedi, elle n'a aucune chance d'y arriver, donc elle ne pourra pas donner satisfaction à ce beau gosse, il faut que j'intervienne !

Je me suis glissé derrière elle, non sans avoir adressé un petit signe de tête à mon étalon : "eh, eh, t'as vu monsieur, c'est moi y vais te sauver !" Tout auréolé de mon statut de supérieur de cette petite caissière de crotte, je lui ai dit, de mon ton le plus paternaliste : "non mais c'est bon, je le connais, tu peux lui faire la réduc".

Tout gênée, parce que ça n'est pas la procédure, elle m'a demandé si j'étais sûr.

C'est là que tout a foutu le camp. Mon cerveau a eu comme a un haut-le-cœur, et a roté ce vieux souvenir de mes tendres années. J'ai encadré mon nez avec mon index et mon majeur, tendus pour pointer vers chacun de mes yeux. Je l'ai regardée bien en face, et le plus sérieusement du monde, pour impressionner mon homme, le beau gosse et asseoir ma supériorité, j'ai lancé un retentissant :

- Parole de sorcière.

Parfois, c'est difficile d'être moi.

Confessions intimes

En ce moment au boulot, j'apprends l'injustice. Après avoir cassé du sucre sur le dos de plein de collègues -alors que c'était mérité, après avoir ouvert la bouche trop souvent en disant à ma big boss que certaines de ses idées étaient "pourrites", après avoir colporté des rumeurs dont certaines étaient parfaitement fondées, j'ai eu la surprise d'être puni.Moi. Non mais je crois que je rêve ?

Bien sûr, il n'y a rien eu d'officiel, non. Mais petit à petit, je me suis rendu compte que la nouvelle blonde à gros seins qui était apparue à mes côtés tous les samedis n'était pas là pour m'aider, mais pour me remplacer. Maintenant qu'elle est assez sûre d'elle et qu'elle peut voler en solo, on m'a viré de mon bureau. Pof, du jour au lendemain, sans un mot, j'ai découvert l'évolution vers le bas. L'évbâlution, quoi.

Fidèle à moi même, j'ai demandé un entretien à ma responsable, en lui exposant clairement mon problème, et en faisant valoir mes opinions de manière ferme et argumentée je grommèle toute la journée dans mon coin : grmbl grmbl de Girafa de merde qui pue du cul et grmbl.

Curieusement, ça ne change rien au problème : en ce moment, je passe ma vie en caisse.

Adieu, douce isolation du bureau, bonjour, agitation du magasin ! Adieu, ambiance plus ou moins rigolote entre gens normaux, bonjour crêpages de chignons entre vieilles biques qui sentent ! Adieu, journée qui passe vite en faisant des blagues au téléphone, bonjour temps figé dans une morne apathie !

Parce qu'on a beau dire, la caisse, c'est quand même intellectuellement peu stimulant. Bip ! Bip ! Ça vous fera dix-huit euros, vous réglez avec la carte du magasin ? Le soir, on ne se sent pas très propre.

Comme aujourd'hui, où j'étais cerné par les cons, alors j'ai tenté de m'évader quelques instants en expliquant à la nouvelle à côté de moi :

- Connasse, pour ouvrir ton tiroir-caisse, tu fais [zéro] [entrée].

- Écho ! ...écho... écho... cho...

- Zéro ?

- ...cho... cho... cho...

Je l'ai regardée dans les yeux, pour savoir sur lequel des deux mots elle bloquait, mais le néant abyssal que j'y ai vu m'a donné le vertige. Alors, dépité, je suis retourné m'asseoir pour encaisser.

Une grosse dame blonde est arrivée. Bip. Bip. Merci madame, voilà votre sac, au revoir madame. Alors qu'elle partait, je l'ai vue se pencher et lancer un joyeux : "Allez, tu viens mon bébé ?".

Par réflexe, j'ai baissé les yeux pour voir à quoi ressemblait le petit chien auquel elle s'adressait. C'est là que, ô surprise, je me suis rendu compte qu'elle ne parlait ni à un enfant, ni à un animal, mais... à ses achats.

Rassuré, je me suis rassis avec un sourire satisfait : rien n'avait changé, tout m'est revenu. Parfois, la caisse aussi a ses bons côtés. Il suffit de savoir les repérer.

Vacances marocaines 4 : on ne naît pas homme, on le devient

(Oui, je reprends une histoire qui traîne depuis octobre, après une pause de plus d'un mois, en faisant comme si de rien n'était, et alors ?) Après une première expérience des spas marocains pour le moins décevante, je pensais que c'était dans la poche. Tous les souvenirs étaient achetés, la visite obligatoire d'au moins un truc touristique était faite : on allait enfin pouvoir faire les loques au bord de la piscine, et dire du mal des autres vacanciers, en buvant des cocktails les pieds dans l'eau. Le paradis, ou sa version musulmane.

Mais non. Pendant la dernière balade dans les souks de la ville, Lapin est tombé dans un piège au moins aussi gros que lui : un jeune éphèbe marocain, comme ils savent si bien les faire, lui a remis un leaflet, une jolie pub pour un hammam authentique, dans une ruelle un peu plus loin. Je n'avais pas très envie d'y aller, alors j'ai mis en application la célèbre technique du "on s'engueule donc on rentre à l'hôtel", pour échapper à ce que je soupçonnais être une grosse arnaque : comment un hammam, qui distribue ses prospectus dans la rue, pourrait-il ne pas être un vilain piège à touristes ? Hein, tu peux me le dire ?

Non, il n'a pas pu, forcément, j'ai toujours raison. Mais comme je suis gentil, on est quand même allés jeter un œil sur le site dudit établissement. Oui, un spa avec un site tout en flash n'est pas un sale attrape-nigauds, c'est évident. Et oui, tout geek qui se respecte part en vacances avec son ordinateur portable, la présente situation prouvant qu'on avait bien fait.

Je suis faible, alors je suis tombé d'accord avec Lapin : les grosses baignoires en pierre de taille ont l'air confortables, c'est vrai. Et le bain marocain, aux oranges et aux pétales de roses, ça n'a pas l'air dégueu. Allez, c'est l'heure du déjeuner, on graille vite fait et on y va dare-dare pendant que ces blaireaux de touristes font encore la sieste.

Le temps de trouver un taxi, de lui mettre le flyer entre les mains, qu'il nous le rende parce qu'il ne savait pas lire, et on était à la porte du riad. Bonjour madame, ça serait pour une totale, c'est possible maintenant ? Oui, et on peut choisir de se faire masser par un homme ? Non ? Ben la totale quand même, sivouplaît merci.

Alors, elle nous a enfermés dans une petite sale qui semblait être le vestiaire. On met les vêtements dans les cases, on se croirait au Sun City c'est rigolo. On enfile le peignoir, et au moment où on le déplie, deux étranges objets en tombent : une feuille de papier à cigarette, et un bonnet de douche. ???

Il a une drôle de forme, ce bonnet de douche, non ? Oui, c'est parce que c'est un string à usage unique, c'est plus hygiénique, et ça évite de se foutre à poil pour le massage. C'est concept, et c'est à taille unique : comme c'est censé aller à de très grosses personnes, il y a beaucoup de rab de tissus, on dirait qu'on vient de se chier dessus, la classe américaine.

Et j'imagine que les papiers à cigarette, c'est pas pour se rouler un gros joint ? Ben non, ce sont des pantoufles, voyons, c'est évident, il y a même une lanière, comme sur les vraies sandales. L'avantage de nos petits riens aux pieds, c'est qu'ils étaient très légers, on les sentait à peine. L'inconvénient... Vous avez déjà essayé de marcher sur du papier de riz, dans une atmosphère très humide ? Non hein, et vous n'essaieriez pas non plus, vous avez raison.

Mais le vrai plaisir, le point culminant de ces vacances, vers lequel tous les évènements nous avaient précipités, ce fut le bain marocain, qui tenait toutes ses promesses : dans une baignoire taillée à même le rocher, nous avons trempé au milieu d'oranges entières et de pétales de roses. Regarde, regarde, je suis un pot-au-feu !

Et on n'imagine pas à quel point une orange entière est vicieuse, et à quel point la gravité peut jouer dans une baignoire : pendant tout le temps où on a trempé, les oranges sont venues se coller à nous, à toutes les parties de nos pauvres corps qui pouvaient dépasser. Il en fut pareil des pétales de roses. Mais là où on peut facilement se débarrasser d'une orange en sortant de la baignoire (un élégant mouvement de jambe, et hop plus rien), le pétale est plus collant : si on n'y prend pas garde, on peut se rendre compte en s'allongeant pour le massage, qu'on en a encore partout.

Le pire dans toute cette histoire, c'est qu'en sortant de là, tous gras de cette huile de tournesol bon marché dont on nous avait enduits pour nous papouiller, Lapin s'est rendu compte qu'il n'aimait pas les massages.

Après, j'ai fini les vacances seul.

Vacances marocaines 3 : Du bout des doigts

Quand j'ai raconté au boulot, à qui voulait l'entendre, que je partais en vacances, à Marrakech, ça va être cool !, une de mes collègues m'a bien mis en garde :

- Attention David, il y a deux façons de découvrir la ville ! Soit on fait tous les spas de tous les riads, on se fait masser pendant une semaine, on trouve ça génial mais on n'a rien vu du Maroc; ou on peut aussi visiter plus local : manger du couscous chez l'habitant et boire du lait de chèvre caillé, comme les touaregs, et là, on aime ou on déteste, mais au moins on découvre la vraie ville.

Je lui ai juré mes grands dieux que non, je n'y allais surtout pas pour les massages, pouah ! Sur le coup, j'étais sincère. Je n'y avais même pas pensé. Quoi, on peut aller au Maroc pour les soins du corps ? Mais ? Mais on m'aurait menti, il y a donc un autre intérêt au Maghreb que de se faire tripoter dans les souks et enfiler dans l'arrière-boutique, comme ils disaient dans le documentaire de Cadinot ?

Et lorsqu'en arrivant à l'hôtel nous avons trouvé, négligemment posée sur une table, une brochure pour leur Oriental Spa, j'ai bien compris ce qu'Allah essayait de me dire : je ne suis pas venu pour ça, mais je ne dois pas pour autant mourir idiot. Quelques heures plus tard, rendez-vous était pris pour le lendemain.

L'expérience fut surprenante : après nous avoir enduits de savon noir, une accorte jeune femme nous a fait mariner pendant une demi-heure dans un hammam tièdasse, avant de nous faire un "lavage au gant de crin". Le problème, c'est qu'avant de devenir laveuse professionnelle, elle avait dû bosser dans le bâtiment, et elle nous a frottés avec son gant comme on ponce un vieux mur : douloureusement.

Bien sûr, elle a essayé de se faire pardonner en nous oignant d'huile d'argan avant de nous confier à une douce masseuse, mais le mal était fait. Enfin non. Le mal fut fait au moment où je me couchais sur le ventre, pour recevoir les douces papouilles. Dès que ma tête s'est posée sur le coussinet prévu à cet effet, vestige de ma bronchite, j'ai senti monter la pire quinte de toux de ma vie, genre je suis sur le point de te cracher mes poumons, là, dans le petit bol plein de pétales de roses que tu as posé à terre pour que je regarde autre chose que tes pieds, madame.

La tête paralysée dans son petit cerceau en mousse, les bras coincés au dessus, je ne pouvais décemment pas me laisser aller à cracher mes miasmes, ça ne se fait pas. Alors je me suis forcé à respirer le plus doucement possible, en attendant avec impatience le moment où cet instant d'intense sérénité allait s'arrêter, et où je pourrai enfin tousser à m'en faire saigner la trachée.

Du coup, même si ma masseuse avait été un tant soit peu douée, et qu'elle ne m'avait pas gentiment effleuré la peau du bout des doigts, au lieu de me pétrir les muscles comme du bon pain, j'aurais été trop occupé à faire les gros yeux à mes bronches pour ressentir quoi que ce soit.

Cette première expérience des hammams marocains était un cuisant échec.

Si nous avions été malins, nous aurions pu en rester là, nous dire "ah non alors, ma collègue avait bien raison, les spas, ça craint du boudin !". Nous aurions pu.

Nous aurions dû. Oh oui, comme nous aurions dû...

Vacances marocaines 2 : Autour de moi les fous

Résumé des épisodes précédents : en raison d'une vie trop stressante, David et Lapin partent en vacances au Maroc. À première vue, l'hôtel allait tenir toutes ses promesses : luxe, calme, volupté, et une réceptionniste qui a presque gardé son sang froid quand elle a compris l'ignoble vérité : "un seul lit ? Mais... Ça veut dire...?". Oui, ça voulait dire.

Pendant l'exploration de notre nouvelle maison pour la semaine, nous avons fait une découverte stupéfiante, ralala : nous étions apparemment les seuls occupants de l'hôtel. Joie, bénies soient les vacances en dehors des périodes scolaires !

Mais bientôt, il a bien fallu se poser la question : si nous sommes seuls dans l'hôtel, mon cher Watson, où sont donc passés tous ces pignoufs qui nous ont empêché d'avoir les chambres premier prix ? Peu de temps après, la réponse est venue nous frapper en plein visage.

Il se trouve qu'une année comprend cinquante-deux semaines. Si on ajoute à cette équation le nombre d'hôtels dans la ville, on se rend compte que les chances de réserver pile pendant l'open de poker de Marrakech, qui ne pouvait se dérouler que dans le casino de l'hôtel, étaient quasiment nulles. Et pourtant...

Bien sûr, au début de la compétition, ils jouaient la nuit et dormaient le jour, c'était plutôt difficile de les rencontrer (et puis faut dire qu'on n'a pas vraiment essayé, imagine : tu vas en vacances, c'est pas pour partir à la chasse au Patrick Bruel). Mais plus les jours passaient, plus les gros losers se faisaient éjecter du tournoi et venaient squatter notre piscine jusqu'ici quasi privée.

Et c'est là qu'on a bien été obligés de se rendre à l'évidence : on nous ment.

Quand on dit poker, on entend casino, James Bond, classe, smoking, Monte Carlo, pépées russes vénales moulées dans des robes bustier qui menacent de leur faire exploser les seins si elles respirent trop fort, champagne, cigares, smokings blancs et Ferrero Rocher à profusion.

Eh bien non. Le joueur de poker, c'est tout sauf ça. Le joueur de poker, c'est le kéké de base, qui tune sa caisse, se gratte allègrement les couilles sous son boxer de bain vert fluo, et qui trouve que Lara Croft elle est bonne, putaing ! Alors oui, au début du tournoi, ils étaient calmes, ils y croyaient, on était tranquilles !

Mais plus la compétition avançait, plus ils perdaient d'argent (t'es mauvais, t'es mauvais...), et plus ils étaient énervés. Alors, ils se retrouvaient autour de nous pour en discuter. De plus en plus. De plus en fort. À la fin, on était cernés par des hystériques, la bave aux lèvres et l'œil injecté de sang, qui se beuglaient des "brelan de dix, con !" et autres "je l'ai flushé au roi, bordel !!!", à tout bout de champ.

Bien sûr, on aurait bien voulu participer, flusher au roi ça a l'air d'être trop de la balle, mais pudiquement, comme le font les grands de ce monde, nous avons préféré laisser la plèbe se vautrer dans la fange de leur futile excitation.

Alors, nous sommes sortis de l'hôtel.

Vis ma vie de Cadinot

Mardi soir, j'étais chez moi, m'adonnant l'air de rien à quelques plaisirs solitaires, parce que garder un bon coup de main, c'est aussi important que tout le reste. Confortablement installé dans mon fauteuil, je regardais ma petite vidéo, tranquille Émile, quand j'entends sonner à ma porte. Ding-dong ?

Premier réflexe : j'éteins la lumière et coupe les haut-parleurs du PC. Si ça se trouve, c'est un con de voisin qui vient m'emprunter du sucre, et je n'aime pas rendre service. Si je fais semblant de ne pas être là, il finira par s'en aller. Je fais le vide dans mon esprit, j'ouvre mes chacras, et on peut repartir.

Mon deuxième départ fut plus difficile que le premier. Ce crétin avait réussi à noyer mon démarreur. Le moteur ne ronronnait pas encore, quand rebelote :

Ding-dong ?

Je bloque mon tympan et ferme mon pavillon interne. J'y arriverai.

DING DONG DING DONG !

Agacé, déconcentré, je décide enfin d'aller voir. J'enfile le premier truc à ma portée, soit un vieux short immonde qui était déjà laid pendant mes années lycée. Si je vivais dans une série américaine, je serais allé ouvrir dans cette tenue : torse nu, les muscles se soulevant au rythme de ma respiration, une gouttelette de sueur entre les pectoraux et les tétons durs à tailler du verre.

Mais non. Dans le monde réel, j'ai aussi attrapé une chemise qui traînait là, en attente de repassage, et que je n'ai pas pris le temps de boutonner. Je me suis contenté d'en rabattre les deux pans l'un sur l'autre, façon mémé qui sort en tenant sa robe de chambre bien fermée, de peur qu'un pervers n'essaye de lui mater les gants de toilette.

Je devais être sexe, ah ça oui. J'ai ouvert la porte, prêt à beugler sur l'importun toutes les insanités que je connais, mais quelque chose m'a arrêté net.

Peut-être l'adonis en face de moi, dans son bel uniforme, qui m'a annoncé :

- Bonsoir, c'est les pompiers, pour le calendrier...

Cher journal : jackpot ! Combien de fois dans une vie est-ce que les pompiers viennent sonner pendant qu'on se branle ? Si j'avais été dans un vrai porno, j'aurais pu tomber la chemise et lui expliquer la situation. Si j'avais eu un minimum de présence d'esprit, j'aurais pu l'inviter à rentrer, en espérant qu'il remarque le porno en pause sur l'écran, et qu'il comprenne.

Mais non. Là encore, la vraie vie a pris le dessus, ainsi que mon légendaire sens de la répartie. Je l'ai dévisagé, tout gêné, et au lieu de lui dire "ne bougez pas je vais chercher mon porte-monnaie", ou "laissez-moi le temps d'enfiler quelque chose", qui, je le précise, est ce que mon cerveau avait prévu de dire, ma bouche a répondu :

- Ah... Euh... Je finis ce que je faisais et je suis à vous.

Je ne crois pas qu'on puisse rendre plus minable une situation de ce genre.

Un jour, j'apprendrai. Un jour.

Vacances marocaines

L'air du paradis est celui qui souffle entre les oreilles d'un cheval.Proverbe arabe

Jusqu'à très récemment (samedi soir pour être exact), j'étais en vacances. Dans mon infinie miséricorde, après avoir forcé Lapin à se les peler à Londres ou Copenhague, j'ai accepté que nous partions à Marrakech : au soleil, pour choper un cancer de la peau, se faire piquer par un scorpion, lapider, ou les trois en même temps.

Je ne sais pas si c'est à cause de mes a priori sur les vacances au chaud, mais le départ fut tourmenté. En regardant les hôtels sur le gentil Ternet (le Ternet est notre Dieu, longue vie au Ternet !), on en avait trouvé un génial : pour une bouchée de pain -et pas du Paul hein, du pain dégueu de la boulangerie d'en bas !-, on avait un hôtel grand luxe, avec un L majuscule, bar dans la piscine, un site plein d'animations en flash et des palmiers dans le jardin. David aime les palmiers, alors on a dit banco. Je nous entends encore, "banco"...

Le temps de peser le pour et le contre une demi-douzaine de fois, et je me suis retrouvé à faire la réservation à l'arrache, un soir avant de me coucher. Je clique, je remplis, je donne mon mail, je me trompe d'une case alors je reviens, je continue, je valide, je donne mon numéro de carte... C'est en recevant le mail de remerciement de mon achat que ça m'a choqué :

Passager 1 : David Procellus Départ : 14h20 Paris Orly ( France ) Terminal S Arrivée : 15h30 Marrakech Menara ( Maroc ) Terminal 1

Passager 2 : David Procellus Départ : 14h20 Paris Orly ( France ) Terminal S Arrivée : 15h30 Marrakech Menara ( Maroc ) Terminal 1

Hm. Est-ce que c'est vraiment un problème d'avoir pris les deux billets d'avion nominatifs à mon propre nom ? Ça pourrait tout de même être un tantinet gênant. Je me suis couché totalement catastrophé, et à neuf heures pétantes le lendemain matin, j'appelais Opodo pour chouiner.

- Oui madame Opodo, voilà euh, comment dire chuis un gros boulet et grmbl deux billets à mon propre nom...

- Pardon monsieur ?

Je lui répète mon embarrassante situation, et elle m'annonce, avec dans la voix le chaud soleil de celle qui s'en fout, qu'on ne peut rien faire : la réservation a été confirmée par la Royal Air Maroc, on ne peut plus annuler le billet. Gloups. Le temps de réfléchir à si on partait ou pas, la chambre standard nous était passée sous le nez (plus tard, horrifiés, nous découvririons pourquoi) et j'avais dû prendre une chambre Deluxe, avec vue sur l'Atlas (alors que l'Atlas on s'en branle, on va pas au Maroc pour voir la montagne, sinon on irait à Morzine ou Serre-Chevalier, eh, tu nous prends pour qui !), mais je me retrouvais maintenant à devoir acheter un troisième billet d'avion, en attendant de voir si la compagnie acceptait de me rembourser le premier. Duh.

En faisant bien attention de le prendre au nom de Lapin, cette fois-ci, mort de rire quand je lui racontais ma mésaventure, alors qu'il aurait dû être ému par tous les trémolos que j'avais mis dans ma voix, en essayant de me faire passer pour la victime.

Ensuite, les jours sont devenus de plus en plus longs, mais la date du départ est enfin arrivée. Alors, Indiana Jones des temps modernes, nous nous sommes envolés vers le Maroc, sans savoir si nous reverrions un jour nos terres natales.

Rien de ce que nous avions vécu ne nous avait préparés à la suite.

Autopsie d'un tube

Ce jour-là, Mylène Farmer est chez elle, à la recherche de l'inspiration. Son complice et confident de toujours, Laurent Boutonnat, l'aide dans cette recherche en regardant partout, même sous les coussins du canapé, bien qu'il eût préféré continuer à créer des mélodies, tranquille sur son orgue Bontempi. Couchée sur un cercueil, Mylène se tapote le menton avec la gomme de son critérium :

- Ralala, mais qu'est-ce que c'est difficile la création artistique ! J'ai déjà fait une chanson où je dis Fuck them all, c'est bien mutin comme thème, hihi ! Maintenant il faudrait que je fasse quelque chose de nouveau... Oh, je sais, je vais écrire sur toutes ces causes qui me tiennent à cœur et qui me révoltent, pour montrer que je peux aussi être une chanteuse engagée ! Qu'est-ce que tu en penses, mon Lolo ?

- Piiiii... Paaaaa... Pôôô... PuuuUUUuuu... Hmmm ? Ouais ouais, ce que tu dis, fais-ça... Piiiiii...

- Alors... Comment je pourrais tourner ça... Euuuh... Je sais ! Je vais commencer par faire une liste de ce que je n'aime pas ! (Mylène, restée fixée au stade anal, aime bien faire des listes, et vérifier vingt-deux fois avant de sortir d'une pièce qu'elle en a bien fermé la fenêtre) Bon, commençons...

- Pûûû pû puuu pah !

- Voyons voir... Qu'est-ce que je n'aime pas... La cruauté ? Ah ça, c'est laid, la cruauté ! Et puis, et puis la calomnie, oh qu'est-ce que c'est laid la calomnie ! Han, je suis super bien partie, la muse s'est posée sur moi ! Et puis aussi, et aussi... Euh... Lolo ! Je sèche !

- Poo piii puh ?

- Dis mon Lolo, c'est pour ma chanson, qu'est-ce qui est laid ?

- Euh, ta coupe de cheveux ?

À ces mots, la chanteuse poétesse éclate en sanglots.

- Ah c'est bien ma Mylène, c'est une chanson qui te touche, apparemment... Pooo po po pooo !

- Mais non, mais t'es trop méchant, et j'avais bien raison, la cruauté, c'est laid ! Et la calomnie, c'est laid ! Et l'infamie, et ben, c'est laid aussi !

Répond la star, entre deux sanglots, en tentant péniblement de se relever du sol où elle s'est effondrée. Mais le temps passe, la création artistique est comme un film de Godard, lente et douloureuse, et le temps qui lui était imparti est maintenant révolu.

Le temps de vérifier ses fenêtres (vingt-deux fois, pendant que Laurent tape du pied et trépigne devant la porte, un jour il va se la faire cette conne, putain, le jour où elle arrête de rapporter...) et de jeter deux ou trois idées de plus sur son bloc, dans le taxi qui les conduit au studio d'enregistrement, de trouver quelques mots bien tendancieux de derrière les fagots, comme "coïter" ou "les apôtres je les mange" (parfois, les muses n'ont que faire du sens des mots), et Mylène et Laurent peuvent enregistrer le nouveau titre de la star, qu'elle est tout de même allée chercher bien loin, comme toujours.

Ma réalité

L'autre soir j'étais au boulot, un peu secoué par la broncho-pneumonie qui a failli avoir ma peau, et qui m'a offert la voix de Macha Béranger pendant tout un week-end. La soirée touchait à sa fin, et c'était plutôt chouette, parce que je m'ennuyais ferme (comme d'habitude, me direz-vous), surtout que personne n'avait pensé à me laisser un 20 Minutes. C'est à ce moment-là, quelques minutes avant la fermeture, qu'un premier caissier m'a appelé : un client venait de lui présenter une carte qu'il n'avait jamais vue. La carte Butterfly, censée donner 9% de réductions aux touristes dans toute une chiée d'enseignes Parisiennes, dont Happy Time. J'ai envoyé mon meilleur élément sur les lieux, et quand je l'ai revue, elle m'a confirmé que non, elle n'avait jamais vu cette carte, et qu'elle ne voyait pas trop comment on pouvait appliquer les réducs : aucun numéro sur la carte, pas de puce ou de piste magnétique, bref, trop le truc de ouf, quoi.

Entre temps, j'avais quand même reçu un deuxième appel d'un autre caissier, à qui on avait présenté exactement la même carte. Trop dingue, il se passe des trucs nouveaux dans notre magasin ! Folie !

J'ai attendu deux ou trois jours, le temps que l'évènement remonte des limbes de mon subconscient, pour en parler à ma Big Big Boss, qui est toujours au courant de tout, qui sait tout sur tout et tout le monde, même que ça fait un peu peur, parfois.

Et c'est au moment où les mots sortaient de ma bouche, "carte Butterfly", "9% de remise", qu'un doute atroce m'a assailli : est-ce que c'est vraiment arrivé ? Parce que plus j'avançais dans mon histoire, et plus j'avais l'horrible impression d'être en train de lui raconter un rêve. Un rêve certes très réaliste sur le boulot, mais un rêve quand même.

L'autre solution, encore plus plausible, c'est que ma bronchite et l'otite que je couvais (mercredi, cinq jours avant de prendre l'avion, j'ai appris que j'avais une otite : c'est une expérience dont je suis certain de revenir plus riche -si toutefois j'en reviens) m'ont tellement ébranlé que je me suis mis à avoir des hallucinations, là, comme Ally McBeal, sur mon lieu de travail.

Ça serait très facile à vérifier : je me souviens parfaitement qui m'a appelé pour me poser la question (la première fois), qui j'ai envoyé au secours de ce pauvre tâchon -cette multitude de détails précis qui me fait plus pencher vers l'hallucination que le rêve-, mais je n'ose pas, je connais déjà leur réponse, et j'ai un peu peur de leurs réactions. La chemise qui s'attache dans le dos, ça n'irait avec aucun de mes pantalons.

Et c'est là que je me dis que j'ai tout de même eu de la présence d'esprit, ce même jour, de ne parler à personne des énormes pylônes futuristes qu'ils avaient installé sur les quais de ma station de métro, et que je n'ai revus aucun autre jour.

I am sooo back

J'entends dire ici ou là que Procellus n'écrit plus. Pourquoi ? Comment ? Est-ce que la grippe du cochon nous l'a arraché trop tôt, chienne de vie ?Un mois d'abstinence, la France qui tremble, la météo en est toute déréglée, même Bo, le chien de Barrackûnet d'amour en a perdu l'appétit, tous attendent que David les souille à nouveau de ses talentueux écrits. Mais rassurez-vous, braves gens, nous allons bien. Nous n'avons pas déposé la plume à terre : les fans les plus inconditionnels, ceux qui ont l'immense bonheur de faire partie de mes amis Facebook (pour mon esprit torturé, accepter une friend request équivaut ni plus ni moins à devenir frères de sang) le savent bien : je mets mes statuts à jour avec une régularité... euh, régulière.

Et voilà : j'ai résisté à la mode touitteur, mais facebook a bien failli tuer mon blog, comme les jardiniers tuent leurs patronnes. Non seulement j'avais remplacé les posts par ces deux lignes de statut, mais en plus j'ai passé des heures, des jours, des semaines à jouer à Pet Society, Farmville ou n'importe quelle daube qui me permettait de m'évader de la morne grisaille du quotidien. Mais finalement, j'ai décidé que stop ! Plus jamais, c'est fini, je n'ai pas besoin de facebook, je peux arrêter, donne-moi le courage d’accepter ce que je ne peux pas changer, la force de changer ce qui peut l’être et la sagesse de distinguer l’un de l’autre, toussa toussa !

Bien sûr, j'aurais pu revenir en faisant du Pénélope Jolicoeur, à raconter en un mini paragraphe comment c'est trooop dur mon succès, mes projets et ma vie de couple (haaan, David il est trop fou dans sa tête, il crache même sur Pénélope !), mais pour ça, je vais peut-être attendre d'avoir un succès ou un projet à jeter à la face du monde. Et de toute façon, ça n'était pas assez.

Il fallait plus, du mieux, de l'absolu, du parfait. Je suis donc allé puiser l'inspiration à la source, j'ai bu les saintes paroles de Shy'm, Amélie Nothomb, les Black Eyed Peas, Marc Lévy et tous ces magiciens des mots qui contribuent chaque jour à rendre notre monde un peu plus beau.

Et même si la route fut longue, semée d'embûches, de questions (à quoi servent les autres Pussycat Dolls ? Et pourquoi l'album solo de Nicole n'a-t-il pas marché, si vraiment elles ne servent à rien ?), d'errances, d'erreurs, de crises psychiques, j'ai enfin retrouvé le chemin de la maison.

Vous pouvez respirer, je suis re-là.

Les stigmates de ma personnalité

Il y a deux semaines au boulot, j'ai eu droit à mon entretien annuel. Je suis un employé modèle, donc je n'ai eu que des compliments, mais Girafa s'est sentie obligée de me faire un reproche. Oh, j'imagine qu'elle a passé du temps à chercher, la salope. Mais vu ce qu'elle a trouvé, je pense qu'elle aurait dû plancher un peu plus :

- David, un de tes gros défauts... C'est que tu es une peste.

Ouuutch, a répondu ma virilité. Mais je n'ai pas cherché à me défendre plus que ça : déjà parce que je suis un lâche, mais en plus je sais qu'elle a raison.

Évidemment, ça n'est pas ma faute. C'est une malédiction, un mauvais sort que je supporte depuis toujours : dès que je remarque un défaut chez quelqu'un, qu'il bosse mal ou se comporte comme un con (bien sûr que non, ça n'est pas objectif), je ressens le besoin d'en parler à qui veut l'entendre. Mais plutôt que de m'énerver et de me mettre à gueuler comme un putois, je préfère en rire -aux dépens de la personne. Oui, je me fous de sa gueule. Mais avec bonne humeur et entrain, c'est tout de même plus agréable pour les autres ! Et dans le monde du travail, bien qu'il soit fort aisé de baver sur les collègues, il semblerait que ça ne soit pas très bien vu.

Quand j'en ai parlé aux rares collègues que je tolère, j'ai tenté de défendre ma cause : oui, je critique les gens. Mais ça n'est pas parce que je dis des saloperies sur leur façon de bosser que ça n'est pas la vérité. Elle, qui passe ses soirées à bloquer la ligne du bureau pour appeler son mari et savoir si son chiard a pris son bain ou ce qu'il a mangé, ça n'agace que moi ? Et lui, avec son énergie de poireau, qui ne vient que pour mater les petites caissières, on doit le défendre ?

Non, mais toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire, David.

Alors mercredi dernier, pour m'aider, Grololos a suggéré de mettre en place une thérapie expérimentale : je me mets un élastique autour du poignet, et à chaque fois que je crache sur quelqu'un (métaphoriquement, bien sûr, je sais quand même me tenir), WASHLAC !, je me claque le bras.

Évidemment, ça ne marchera jamais : je suis trop bête pour mettre en rapport la douleur et mes accès de bile, mais c'est devenu très pratique : quand quelqu'un entre dans la pièce, au lieu d'attendre qu'il sorte pour lancer ma saloperie, je regarde Grololos (qui pense comme moi mais sait tenir sa langue) et shlac, avec un regard entendu. Au moins, ça m'apprend la discrétion.

Mais ça m'a également permis de me rendre compte que peut-être, je balançais trop. Le mercredi, je ne suis là que quatre heures. On a mis la thérapie en place au bout de deux heures. En deux heures de temps, quand je suis sorti, mon poignet n'était plus que douleur :

Pour le bien de mon bras, pitié, arrêtez d'engager des incompétents !

Everything. Everyone. Everywhere. Ends.

Dimanche dernier, j'ai passé une nouvelle étape dans mon ascension vers une vraie vie d'adulte : le décès de ma grand-mère. Tout le monde ou presque le vit, c'est comme le permis, le bac ou un premier appartement.Mais quand on se lâche une brique sur le pied, on a beau se dire que beaucoup d'autres avant se sont pris la même, au moment où elle tombe, elle fait quand même mal.

Comme toutes les personnes âgées, le sens du timing de mes grand-parents laisse à désirer. Si ma grand-mère était morte à un autre moment, tout aurait sûrement été plus simple. Mais comme c'est arrivé à son domicile, un dimanche soir, les pompiers n'ont pas pu l'emmener à l'hôpital, et le service de la mairie qui aurait dû prendre la relève était fermé jusqu'au lendemain.

Ils ont donc improvisé une veillée morbide à l'ancienne : ils l'ont installée le plus confortablement possible, de son côté du lit, la couette remontée jusqu'au menton. Si elle n'avait pas eu ce teint de cendre et les gros bandages autour de la tête, on aurait presque pu croire qu'elle dormait. Je suis passé voir mon grand-père le lendemain, et pendant tout le temps où j'étais là, à chaque fois qu'il passait dans la chambre, il se jetait sur le corps en pleurant, et l'embrassait : une fois sur le front, une fois sur la bouche, en lui murmurant des "pauvre veille, pauvre vieille".

Comme je suis à fond pour les sacrifices, je me suis dit que quelques jours d'intense traumatisme n'étaient pas importants, s'ils lui permettaient de se sentir mieux pendant quelques instants. Alors comme il pensait que ça lui aurait fait plaisir, je suis allé embrasser le corps gris et froid de ma grand-mère. J'ai ensuite profité de ce qu'on cherchait quels vêtements donner aux pompes funèbres pour l'enterrement, pour aller m'enfermer dans le dressing et pleurer toutes les larmes de mon corps, loin des regards indiscrets.

Je suis ensuite allé me repoudrer le nez, et j'ai pu retourner bosser la tête haute. J'ai eu de la chance d'être soutenu par les collègues, qui me réconfortaient à grands coups de "ce qui est triste, c'est que quand leur femme meurt, les hommes la suivent rapidement : on voit souvent des veuves vivre seules, jamais des veufs". C'était rassurant.

Et puis vendredi, une fois les papiers remplis, on a pu passer à l'enterrement. Une grande cérémonie avait eu lieu à mon insu avant qu'on arrive au funérarium, au cours de laquelle on m'avait nommé soutien officiel de mon grand-père. J'ai donc eu l'immense honneur de l'aider à mettre sa montre une dernière fois au poignet de ma mamie. Pour la deuxième fois en moins d'une semaine, je touchais un corps.

Bien sûr, il y a eu quelques parties amusantes : l'arrivée devant le cimetière, où les porteurs se sont rendu compte qu'ils n'avaient pas la clef, ou le moment ou la Grande Prêtresse de la Mort a fait tomber une hostie et n'a pas osé la donner au bon chrétien qui était agenouillé devant elle, et l'a donc mangée.

Mais il y en a aussi eu des moins drôles, comme le voyage en corbillard avec mon grand-père, qui pleurait sa femme sous les fleurs, en me disant entre deux sanglots qu'en plus de soixante ans de mariage, ils n'avaient jamais été séparés, et que le plus dur serait de rentrer chez lui ce soir-là, parce qu'il était persuadé qu'elle allait lui demander comment ça s'était passé : ils se racontaient tout, depuis plus d'un demi-siècle. Dans ces moments-là, c'est fou comme les mots manquent.

Mais ce genre d'évènement n'est de toute façon pas propice aux grands échanges. C'était surtout l'occasion d'une piqûre de rappel, sur ce qu'est la vie. On se rencontre, on se marie, on fait des beaux enfants, et la plupart nous survivent. Si on se débrouille bien, peut-être même que certains finiront par ne pas nous détester. Et puis on devient vieux, ridé et tremblotant. L'histoire doit se finir, c'est inévitable. Dans le meilleur des cas, l'autre meurt d'un coup, sans prévenir, et on n'a plus qu'à attendre de crever à son tour, tout seul comme un chien.

La vie, c'est bien.

Les meilleures actrices du monde

Aujourd'hui, face aux terribles heures que vivent les pages people, après la victoire de Soan, la mort de Farrah Fawcett, rapidement éclipsée par celle de Michael Jackson, il est important de se tourner vers d'autres cieux, plus rayonnants.Le roi est mort, vive le roi, comme on dit dans ces cas-là.

Le roi que je voudrais célébrer aujourd'hui est une reine, qui faisait pâlir Farrah dans la vie comme Bambi l'a supplantée dans la mort : Emily Procter, alias Calleigh Duquesne, dans Les Experts : Miami. Meilleure série de tous les temps, qui marque autant par son ouverture d'esprit -"Ah, vous l'avez tuée...? Bon, mais c'était une pute, elle était déjà morte à l'intérieur, qu'on ne vous y reprenne pas !", que par le talent de ses protagonistes, David Caruso en tête, le seul homme au monde à avoir moins de charisme qu'une huître.

Mais la palme de la série revient néanmoins à Emily / Calleigh, dont la palette d'expressions ferait rêver Ingrid Chauvin, mais voyez plutôt. Sous vos yeux ébahis, La Procter interprète :

la joie;

la tristesse;

l'espoir;

l'envie de chier;

la colère ravalée;

l'amour;

la compassion.

Sous un tonnerre d'applaudissements.